Nous avons besoin d'une Europe fédérale !
Cette problématique n’est pas encore réglée, puisque les flux migratoires sont régulés de façon gouvernementale et non pas communautaire, sans aucune concertation sérieuse ni aucune politique d’immigration commune. L’Espagne décide de régulariser en masse les sans-papiers, tandis que la France ou le Royaume-Uni freinent des quatre fers en la matière et ont raison de le faire, en ce sens que ces deux pays évitent ainsi un processus décisionnel ethnocentrique. L’Espace de Schengen ne suffit donc pas à établir une politique migratoire commune. Cette situation n’est qu’un exemple qui illustre la volonté des Etats de ne pas se soustraire à la souveraineté nationale.
De même, il est une question qui relève d’un grand tabou dans les sphères diplomatiques et militaires, celle de l’idée d’un commandement commun de l’autorité de dissuasion nucléaire. On touche là au cœur de la souveraineté des pays, en l’occurrence la France et le Royaume-Uni, seules puissances nucléaires en Europe. En termes d’indépendance et de souveraineté technologique, sur l’énergie, la Défense, l’Intelligence, la stratégie européenne doit continuer de s’articuler comme elle le fait autour de l’idée de mutualisation des connaissances et des compétences (…).
L’Union Européenne est déjà la première puissance commerciale du monde. La puissance de l’Europe est essentiellement économique, et cela est logique, puisque les étapes de la CECA, de l’EEE, de la CEE, de l’UE et l’Eurogroup se sont basés sur cette fabuleuse mise en commun du charbon et de l’acier, détournés d’une utilisation martiale aux fins d’établir une paix durable sur le continent. La CED, hélas abandonnée en 1954, aurait peut-être pu enrayer la guerre froide et lancer des avancées certaines en termes d’union politique, puisque d’une union militaire aurait pu découler une unité diplomatique, donc prémisse d’union politique (…).
Il est évident que la question qui prime dans une construction d’une œuvre comme l’Union Européenne consiste à savoir ce que nous voulons bâtir, et ensuite savoir comment. L’Europe, pour quoi ? La paix ? Certes, ce souci nous honore mais l’espace européen est-il réellement en paix totale et durable, aujourd’hui ? Peut-on considérer que le Royaume-Uni, l’un des fondateurs, soit l’exemple et le bon élève de cet idéal de paix qui semble verdir avant la frontière irlandaise !? Les actuels pays yougoslaves n’ont-ils pas montré au monde, il y a dix ans à peine, que les peuples d’Europe n’étaient pas tous engagés dans cet idéal de paix. La Biélorussie, que j’ai la faiblesse de considérer comme contrée « continentalement intégrée » en Europe, dernière dictature européenne, est un autre exemple de ce que la paix entre les peuples n’est pas encore un objectif pleinement atteint. Et Chypre, la douloureuse Chypre !? Les nationalismes qui s’expriment à l’occasion de chaque élargissement, c’est la paix européenne !? Oserai-je dire qu’il me semble pourtant que la Turquie est de bonne foi … (…) Si ce n’est pas seulement la paix qui anime la volonté de bâtir une communauté de vie, c’est que l’idéal européen est plus profond, plus riche encore que cela. C’est sans doute justement de la vie de cette communauté dont il est question. Son épanouissement total, qui passe par la sphère économique mais ne peut s’en contenter. Le projet européen, c’est avant tout l’avenir des peuples. (…) C’est-à-dire le respect de la diversité collective et du particularisme de chacun. Ce serait donc une hérésie de croire que l’Europe politique puisse se bâtir sur autre-chose qu’un système d’ordre fédéral.
Il faut maintenant démocratiser l’Union, chacun le sait. Les efforts qui ont été réalisés
jusqu’alors ne sont pas suffisants. Il faut rompre avec la technocratie, ce piège éternel que l’Europe n’a, pas plus que ses Etats membres, su éviter. Le 5ème élargissement à coûté cher, et le
TCE a été rejeté par la France et les Pays-Bas. Le Royaume-Uni a plus ou moins réussi à éviter de devoir se prononcer. Le Plan B est un leurre, on le sait.
La méthode utilisée pour proposer le TCE a été la meilleure, donc la seule qui vaille : celle du compromis, car on ne peut pas envisager une seule seconde construire et conduire l’Europe sans faire des compromis. Le principe de la Convention était aussi une méthode pleine de ce bon sens qui découle de la recherche du compromis. Nul n’obtiendra jamais en Europe - ou dans une situation de guerre, ce qui ne peut être exclu pour les siècles à venir … - tout ce qu’il exige sans rien céder à ses voisins. L’Europe, de surcroît si elle se veut fédérale, ne peut être autre-chose qu’une entité mutualiste et solidaire.
Aujourd’hui, on peut imaginer un Traité fondamental qui serait une synthèse des règles existant, à savoir la partie III du TCE. Ou on peut préférer uniquement les apports novateurs du TCE, à savoir les parties I et II. Peut-être que ces trois parties, présentées ensemble, ne forment pas un ensemble plaisant parce que trop lourd, trop peu lisible par les citoyens. Peut-être. Alors, entre synthèse de l’existant et propositions novatrices s’ajoutant à cet existant mais ne le rappelant pas, quel serait le meilleur choix ? Si l’on veut que l’Europe avance, à coup sûr, il faut parler de l’avenir, des idéaux européens.
(c) copyright by S.-E. RAYNAUD de FITTE / Perspectives & Quadrige, 2006
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